Par Marie Bonici
Aujourd’hui, dans nos sociétés, ce système social existe toujours
Avec des règles différentes et des biens échangés différents, ce système d’échange existe encore dans nos sociétés. Par exemple, à Noël, quand on s’échange des cadeaux entre amis et au sein de la famille ou encore quand on invite quelqu’un qui nous a invité à dîner, ou quand on aide une personnes âgée dans l’idée que l’on doit aider les générations précédentes…
Et plus spécifiquement, Marcel Mauss a travaillé sur ce système du don et du contre-don dans l’idée de réfléchir sur les notions « d’aumône » et de « charité », très répandue à son époque. Les dames de charité d’alors donnaient l’aumône, qui correspond en fait à un don sans retour, ce qui est humiliant quand les pauvres reçoivent sans pouvoir rendre. Marcel Mauss critique ainsi la conception charitable de l’aide aux « démunis » (population « fragilisées » on dirait maintenant).
Son idée, sa volonté était de transformer la signification des politiques sociales et l’organisation des aides sociales. Qu’elles ne soient plus des « dons » faits aux « pauvres » par « largesse et grandeur d’âme » mais qu’elles deviennent une « contrepartie rendue aux travailleurs en échange du don qu’ils ont fait de leur travail » et pour lequel le salaire ne représente pas un contre-don suffisant : « ni les patrons, ni la société ne sont quittes envers eux après le versement du salaire » comme l’écrit Marcel Mauss.
On est loin du discours qui veut culpabiliser les personnes qui reçoivent des aides de l’Etat… Son analyse de ce système social préfigure au contraire le principe de la sécurité sociale et de l’aide sociale lesquelles, suite aux mobilisations et aux luttes, ont finalement été mises en place à partir des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945.
Les risques de démantèlement actuel de la sécurité sociale ainsi que les discours culpabilisateurs envers ceux qui en bénéficient (nous tous ! pour la cohésion sociale !) participe à désorganiser ce système social d’échange bien plus ancien que le capitalisme, qui existe en dehors de lui et qui échappe à ses règles de profits et de rentabilité.
Pour résumer
Marcel Mauss montre donc que ce système social :
- est une pratique commune à l’humanité entière (sous différentes formes, quels que soient les objectifs/buts de ce système) ;
- permet de régler les échanges entre les générations, les sexes, les vivants et les morts, les hommes et les animaux, les hommes et les esprits… ;
- diffère selon les ressources, l’histoire, la dynamique de chaque société ;
- est « agoniste », ce qui signifie qu’il « oblige » celui qui reçoit, lequel ne peut se libérer que par un « contre-don ». Trois phases existent : l’obligation de donner, l’obligation de recevoir et l’obligation de rendre ;
- ce système inclut la notion de violence des sociétés humaines car il permet de la régler et peut-être, comme l’écrit Marcel Mauss, de la dépasser…
A la suite de Marcel Mauss, on dit que ce système d’échange est un « fait social total » – d’après son propre concept, lequel a prolongé celui de E. Durkheim du « fait social » – car, en plus d’engager la vie du groupe tout entier, comme l’a vu, il est aussi pluridimensionnel : il « mélange » toutes les fonctions sociales comme dit Marcel Mauss (c’est en cela qu’il est « total »). Sont présentes les dimensions culturelles, sociales, religieuses, symboliques et juridiques et ce système social ne peut jamais être réduit à un seul de ces aspects.
Pour aller plus loin :
- Marcel Mauss, Essais sur le don, PUF, Quadrige, 2007 (1ère édition 1925)
- Marcel Mauss, Œuvres. Volume III : Cohésion sociale et division de la sociologie, Paris, Minuit, coll. Sens commun, 1969.
- Camille Tarot, Sociologie et anthropologie de Marcel Mauss, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2003.
- Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, 1999.